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Joseph EPSTEIN à sa femme et à son fils, Prison de Fresnes (Seine) - 11 avril 1944

In "La vie à en mourir, Lettres de fusillés 1941-1944", ouvrage paru aux éditions Tallandier, 2003. Lettres choisies et présentées par Guy Krivopissko, conservateur du Musée de la Résistance nationale


Ma petite Paula bien-aimée, Fidèle jusqu'au dernier souffle à mon idéal, cet après-midi à15 heures, je tomberai fusillé. Je te laisse seule avec notre petit garçon chéri. Je ne pense qu'à vous deux. Je vous aime tellement, je t'aime tellement, ma petite chérie. Je te demande pardon de tout le mal que j'ai pu te faire. Tu m'as donné tellement de bonheur. Maintenant j'y repense; je revis ces instants de bonheur passés près de toi et près de notre petit garçon chéri. Sois courageuse, ma petite bien-aimée. Défends notre petit Microbe chéri. Élève-le en homme bon et courageux. Parle-lui souvent de moi, de son papa-car qui l'aime tellement, qui vous aime tellement. Mes derniers instants, je veux les consacrer à vous. Je te revois, avec notre petit trésor dans les bras, m'attendre à la descente du car. J'entends son rire, je revois tes yeux de maman l'envelopper de tant de tendresse. Je l'entends m'appeler "papa", "papa"! Soyez heureux tous les deux et n'oubliez pas votre "papa-car". Je saurai mourir courageusement et, face au peloton d'exécution, je penserai à vous, à votre bonheur et à votre avenir. Pensez de temps en temps un peu à moi. Du courage, ma Paula bien-aimée. Il faut élever notre petit garçon chéri. Il faut faire de lui un homme bon et courageux. Son papa lui laisse un nom sans tache. Aux moments de découragement, pense à moi, à mon amour pour vous deux, à mon amour immense qui ne vous quitte pas, qui va vous accompagner partout et toujours. Ma bien-aimée, ne te laisse pas abattre, tu seras à partir de 15 heures le papa et la maman de notre petit chéri. Sois courageuse et encore une fois pardonne-moi le mal que je t'ai fait. Te dis, ma Paula bien-aimée, tout mon amour pour toi et notre petit Microbe chéri. Vous serre tous les deux dans mes bras. Vous embrasse de tout mon coeur. Vive la France, Vive la liberté!


Mon petit Microbe, mon fils, Quand tu seras grand, tu liras cette lettre de ton papa. Il l'a écrite 3 heures avant de tomber sous les balles du peloton d'exécution. Je t' aime tellement, mon petit garçon, tellement, tellement. Je te laisse seul avec ta petite maman chérie. Aime-la par-dessus tout. Rends-la heureuse, si heureuse. Remplace ton papa-car auprès d'elle. Elle est si bonne ta maman, et ton papa l'aime tellement. Console-la, mon petit garçon chéri, soutiens-la. Tu es tout maintenant pour elle. Donne-lui toute la joie. Sois hon et courageux. Je tomberai courageusement, mon petit Microbe chéri, pour ton bonheur [et celui] de tous les enfants et de toutes les mamans. Garde-moi un tout petit coin dans ton cœur. Un tout petit coin, mais rien qu'à moi. N'oublie pas ton papa-car. Mon petit fils chéri, je revois ta petite figure souriante, j'entends ta voix si gaie. Je te vois de tous mes yeux. Tu es tout notre bonheur, le mien et celui de ta maman chérie. Obéis à ta maman, aime-la par-dessus tout, ne lui cause jamais de chagrin. Elle a déjà tellement souffert. Donne-lui tellement de bonheur et de joie. Mes derniers instants. Je ne pense qu'à toi, mon petit garçon chéri et à ta maman bien-aimée. Soyez heureux, soyez heureux dans un monde meilleur, plus humain. Vous dis encore une fois tout mon amour. Sois courageuse, ma petite Paula chérie. Aime ta maman par-dessus tout, mon petit garçon chéri, mon petit Microbe chéri. Sois bon et courageux, n'oubliez pas votre papa-car. Vous serre tous les deux dans mes bras. Vous embrasse de toutes mes forces, de tout mon cœur, votre papa-car. Mes amitiés à tous nos amis.






 

Lettre de Missak Manouchian

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m'arrive comme un accident dans ma vie, je n'y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t'écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m'étais engagé dans l'Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n'ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu'il méritera comme châtiment et comme récompense.

Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous... J'ai un regret profond de ne t'avoir pas rendue heureuse, j'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d'avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l'armée française de la libération.

Avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d'être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l'heure avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n'ai fait de mal à personne et si je l'ai fait, je l'ai fait sans haine. Aujourd'hui, il y a du soleil. C'est en regardant le soleil et la belle nature que j'ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m'ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t'embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

P.S. J'ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.

 

Les messages gravés sur des planches par "ceux de Chateaubriant"

Messages gravés sur les planches de la baraque n°6 par les 26 otages le 22 octobre 1941.

« NOUS VAINCRONS QUAND MÊME. » Jean Grandel

« VIVE LE PARTI COMMUNISTE. QUELQUES MOMENTS AVANT DE MOURIR. FUSILLE PAR LES ALLEMANDS. BAISERS A MA FEMME ET A MON CHER MICHEL. » Jules Vercruysse

« CAMARADES QUI RESTEZ SOYEZ COURAGEUX ET CONFIANTS DANS L’AVENIR. » Les 27

« JE MEURS COURAGEUX ET PLEIN DE FOI REVOLUTIONNAIRE. » Maurice Gardette

« ADIEU ! ADIEU ! CAMARADES PRENEZ COURAGE. NOUS SERONS VAINQUEURS. VIVE L’UNION SOVIETIQUE. » Jules Auffret

« VIVE LE PARTI COMMUNISTE QUI FERA UNE FRANCE LIBRE FORTE ET HEUREUSE. » Titus Bartoli

« MORT POUR SON PARTI ET LA FRANCE. » Edmond Lefevre

« LES CAMARADES QUI RESTEZ SOYEZ DIGNES DE NOUS QUI ALLONS MOURIR. » Guy Moquet

« VIVE LA FRANCE. » Charles Michels

« LES 27 QUI VONT MOURIR GARDENT LEUR COURAGE ET LEUR ESPOIR EN LA LUTTE FINALE, LA VICTOIRE DE L’URSS ET LA LIBERATION DES PEUPLES OPRIMES. » Emile David

« SOUVENIR D’UN FUSILLE. » Houynck Kuong

« VIVE LE PC QUI FERA UNE FRANCE LIBRE, FORTE ET HEUREUSE. » Thimbaud, Barthélémy, Pourchasse

« ADIEU ADIEU CAMARADES PRENEZ COURAGE NOUS SERONS VAINQUEURS. VIVE L’UNION SOVIETIQUE ! JULIEN FUSILLE PAR LES ALLEMANDS. » Julien Lepanse

« AVANT DE MOURIR LES 27 SE SONT MONTRES D’UN COURAGE ADMIRABLE. ILS SAVAIENT QUE LEUR SACRIFICE NE SERAIT PAS VAIN ET QUE LA CAUSE POUR LAQUELLE ILS ONT LUTTEE TRIOMPHERA BIENTOT. VIVE LE PARTI COMMUNISTE. VIVE LA FRANCE LIBEREE. » Timbaud. Poulmarch. Pourchasse.

 

Les 5 élèves du lycée Buffon

Lettre de Jean Arthus

Paris, le 8 février 1943,
Mon Grand Chéri,

Je ne sais si tu t'attendais à me revoir, je m'y attendais.
On nous a appris ce matin que c'était fini, alors, adieu ! Je sais que c'est un coup très rude pour toi, mais j'espère que tu es assez fort et que tu sauras continuer à vivre en gardant confiance en l'avenir.
Travaille, fais cela pour moi, continue les livres que tu voulais écrire, pense que je meurs en Français pour ma Patrie.
Je t'embrasse bien.

Adieu, mon grand Chéri,
Jean Arthus



Lettre de Jacques Baudry

Mes Pauvres Parents chéris,

On va m'arracher cette vie que vous m'avez donnée et à laquelle je tenais tant. C'est infiniment dur pour moi et pour vous. J'ai eu la chance de savoir, avant de mourir, que vous étiez courageux. Restez-le, surtout ma petite maman que j'embrasse de tout mon pauvre cœur.
Mes pauvres chéris, j'ai accepté le combat, vous le savez. Je serai courageux jusqu'au bout. La guerre sera bientôt finie. Vous serez quand même heureux dans la paix, un peu grâce à moi. Je veux retourner à Dieu à côté de pépère et mémère. J'aurais voulu vivre encore pour vous aimer beaucoup. Hélas ! Je ne peux pas, la surprise est amère !
J'ai eu les journaux. Nous mourons en pleine victoire. Exécution ce matin à onze heures. Je penserai à vous, à Nicole. Hélas ! mes beaux projets d'avenir ! Qu'elle ne m'oublie pas non plus, ni mes parents !
Mais surtout, que la vie continue pour elle, qu'elle profite de sa jeunesse.

Jacques Baudry



Lettre de Pierre Benoit

Paris, le 8 février 1943,

mes Chers Parents, Chers amis,
C'est la fin !... On vient de nous chercher pour la fusillade. Tant pis. Mourir en pleine victoire, c'est un peu vexant, mais qu'importe !... Le rêve des hommes fait événement…
Nano, souviens-toi de ton frangin. Jusqu'au bout, il a été propre et courageux, et devant la mort même, je ne tremble pas.
Adieu, petite Maman chérie, pardonne-moi tous les tracas que je t'ai faits. J'ai lutté pour une vie meilleure ; peut-être un jour, tu me comprendras ! Adieu, mon vieux Papa. Je te remercie d'avoir été chic avec moi. Garde un bon souvenir de ton fils.
Tototte, Toto, adieu, je vous aimais comme mes propres parents.
Nano, sois un bon fils, tu es le seul fils qui leur reste, ne fais pas d'imprudence.
Adieu tous ceux que j'ai aimés, tous ceux qui m'aimaient, ceux de Nantua et les autres.
La vie sera belle. Nous partons en chantant. Courage. Ce n'est pas si terrible après six mois de prison.
Mes derniers baisers à vous tous.

Pierre Benoit.



Lettre de Pierre Grelot

Paris, le 8 février 1943

Maman chérie, Papa et Jacques chéris,
Tout est fini, maintenant. Je vais être fusillé ce matin à onze heures. Pauvres parents chéris, sachez que ma dernière pensée sera pour vous, je saurai mourir en Français.
Pendant ces longs mois, j'ai beaucoup pensé à vous et j'aurais voulu plus tard vous donner tout le bonheur que votre affection pour moi méritait en retour. J'ai rêvé tant de choses pour vous rendre heureux après la tourmente. Mais, hélas ! mes rêves resteront ce qu'ils sont.
Je vous embrasse beaucoup, beaucoup. La joie de vous revoir m'est à jamais interdite. Vous aurez de mes nouvelles plus tard.
Je vous embrasse encore et toujours, mes parents chéris. Gardez toujours dans votre cœur mon souvenir…
Adieu, Maman, Papa, Jacques Chéris, adieu…

Pierre Grelot



Lettre de Lucien Legros

Paris, le 8 février 1943.
Mes Parents Chéris, mon Frère Chéri,
Je vais être fusillé à onze heures avec mes camarades. Nous allons mourir le sourire aux lèvres, car c'est pour le plus bel idéal. J'ai le sentiment, à cette heure, d'avoir vécu une vie complète.
Vous m'avez fait une jeunesse dorée : je meurs pour la France, donc, je ne regrette rien. Je vous conjure de vivre pour les enfants de Jean. Reconstruisez une belle famille...
Jeudi, j'ai reçu votre splendide colis ; j'ai mangé comme un roi. Pendant ces quatre mois, j'ai longuement médité ; mon examen de conscience est positif, je suis en tous points satisfait.
Bonjour à tous les amis et à tous les parents.
Je vous serre une dernière fois sur mon cœur.

Lucien Legros.
 

La dernière lettre de Julien Ducos à sa famille

Chers parents, chère petite sœur,

Adieu. Car je vais tomber où sont tombés déjà tant de camarades ; je viens d'être confessé et je pars muni des saints sacrements.
Avant de mourir je vous demande pardon de la peine que je vais vous causer, mais soyez courageux et fiers. Je vous demande aussi pardon de tous les ennuis et soucis que je vous ai causés dans ma courte vie, car je n'ai pas été toujours raisonnable, pourtant vous étiez si bons pour moi.
Adieu, papa, toi qui m'as toujours montré le chemin de l'honneur et de l'honnêteté ; sois fier de moi, car toi aussi tu auras donné à la France un fils ; notre sacrifice ne sera pas inutile.
Adieu, maman, toi qui m'as mis au monde et qui t' es penchée si souvent sur mes peines ; sois courageuse, il te reste encore Yvonne pour te consoler.
Et toi, petite sœur chérie, adieu aussi ; c'est à toi que je confie papa et maman ; rends les toujours heureux, fais leur une vieillesse heureuse ; aie surtout soin de maman, ça va être terrible pour elle, console la bien.
Et maintenant on vient nous chercher ; quand le jour va se lever, nous ne serons plus ; nous allons fînir comme tous les patriotes ; notre sacrifice, je crois, ne sera pas inutile, car il donnera à la France, le jour de la victoire finale, le droit d'être, elle aussi, fière de ses fils. J'ai toujours été un patriote et je ne regrette rien.
Adieu aussi, tante Reine et cher Maurice qui furent aussi si bons pour moi et qui me consoliez quand j'avais des peines. Adieu à toute la famille et à tous les bons copains.

Votre fils, ton frère qui va mourir, et qui vous envoie ses derniers baisers.

Vive la France !

Julien Ducos

18 février 1944
 

Lettre de Guy Môquet

Châteaubriant le 22 octobre 1941

Ma petite maman chérie
Mon tout petit frère adoré
Mon petit papa aimé
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, à toi en particulier petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre, mais ce que je souhaite de tout mon cœur c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean (1), j'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino (1). Quant à mon véritable (2) je ne peux le faire, hélas ! J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées, elles pourront servir à Serge qui je l'escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman bien des peines, je te salue pour la dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie, qu'il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demie ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin (3), Michels (4). Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine.

Je ne peux pas en mettre davantage, je vous quitte tous, toutes, toi maman, Séserge, Papa, en vous embrassant de tout mon cœur d'enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime.
Guy

(1) : Jean Mercier, Roger Semat et Rino Scolari étaient des jeunes communistes détenus dans la même baraque que Guy Môquet, et avec lesquels il s'était lié d'amitié
(2) : Serge était le frère cadet de Guy Môquet
(3) : Jean-Pierre Timbaud, militant communiste, secrétaire du syndicat CGTU des métallurgistes parisiens, est allé au poteau d'exécution en criant : « Vive le parti communiste allemand ».
(4) : Charles Michels, secrétaire du syndicat CGTU parisien des cuirs et peaux et député communiste de Paris a déclaré aux SS qui l'emmenaient à la clairière pour y être fusillé : « Vous allez voir comment meurt un député français ».