Vivre avec le passé, La documentation française, juillet-aout 2001
Par Créteil Clemi, dimanche 7 octobre 2007 { Thème * La mémoire en débat } | commenter
Vivre avec le passé
« Devoir de mémoire », « lieux de mémoire », « mémoires obsédantes de ces passés qui ne passent pas », « commémorations en tout genre » : pareille efflorescence témoigne à quel point les sociétés contemporaines semblent craindre de perdre leur passé, bien plus que d’être submergées par lui. Pourtant un tel trop-plein ne laisse pas d’être préoccupant quant aux difficultés qu’éprouvent finalement nos sociétés à assumer leur passé. Ainsi, la prégnance actuelle de la mémoire est-elle à la fois cause et conséquence de cette omniprésence du passé.
Encore faut-il savoir ce qu’est la mémoire - tout le monde ne parlant pas de la même chose -, ce que recouvrent ses silences et ses oublis. Encore faut-il s’interroger sur son étonnante polysémie faite de fragmentation et recoupements entre mémoires individuelle, collective et historique. Reste aussi à comprendre quels usages ces mémoires font du passé - quels tris s’opèrent et à quelles fins -, par quelles modalités enfin elles s’expriment aujourd’hui dans le champ social. La mémoire est-elle vérité du passé, comme pourrait le laisser croire le discours commémoratif, ou bien, pour citer l’historien Pierre Laborie, la mémoire ne serait-elle pas « moins présence du passé que présent du passé, usage fluctuant de ce passé selon les interrogations du présent » ?
II n’est pas simple de se repérer dans les mille chemins qu’emprunte la mémoire, dans ces entrelacs que constituent les relations complexes tissées entre mémoire, histoire et politique. D’autant plus que le jeu des oppositions binaires et sommaires entre mémoire - teintée d’obscurantisme - et histoire - irradiée des lumières de la raison -semble aujourd’hui révéler ses limites. Si la méfiance des historiens reste vive à l’égard de la mémoire - l’histoire consistant à se libérer en quelque sorte de la mémoire - et surtout de l’omniprésent « devoir de mémoire » promu au rang d’impératif catégorique, la mémoire est bel et bien devenue un objet d’histoire, d’une grande fécondité pour cette discipline.
Face à une mémoire envahissante et souvent dans tous ses états, l’historien ne peut plus se prévaloir de cette responsabilité normative, sorte de fonction cathartique, que lui assignait naguère Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. Lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. À la fois « trouble-mémoire » et « sauve-mémoire », l’historien semble appelé à jouer « un rôle de mise à distance, en essayant d’être moins tributaire des enjeux politiques, communautaires et identitaires qui se cachent derrière le devoir de mémoire .
© Yves Léonard - Editorial de « La mémoire, entre histoire et politique » - Cahiers Français 303- La Documentation Française
« Devoir de mémoire », « lieux de mémoire », « mémoires obsédantes de ces passés qui ne passent pas », « commémorations en tout genre » : pareille efflorescence témoigne à quel point les sociétés contemporaines semblent craindre de perdre leur passé, bien plus que d’être submergées par lui. Pourtant un tel trop-plein ne laisse pas d’être préoccupant quant aux difficultés qu’éprouvent finalement nos sociétés à assumer leur passé. Ainsi, la prégnance actuelle de la mémoire est-elle à la fois cause et conséquence de cette omniprésence du passé.
Encore faut-il savoir ce qu’est la mémoire - tout le monde ne parlant pas de la même chose -, ce que recouvrent ses silences et ses oublis. Encore faut-il s’interroger sur son étonnante polysémie faite de fragmentation et recoupements entre mémoires individuelle, collective et historique. Reste aussi à comprendre quels usages ces mémoires font du passé - quels tris s’opèrent et à quelles fins -, par quelles modalités enfin elles s’expriment aujourd’hui dans le champ social. La mémoire est-elle vérité du passé, comme pourrait le laisser croire le discours commémoratif, ou bien, pour citer l’historien Pierre Laborie, la mémoire ne serait-elle pas « moins présence du passé que présent du passé, usage fluctuant de ce passé selon les interrogations du présent » ?
II n’est pas simple de se repérer dans les mille chemins qu’emprunte la mémoire, dans ces entrelacs que constituent les relations complexes tissées entre mémoire, histoire et politique. D’autant plus que le jeu des oppositions binaires et sommaires entre mémoire - teintée d’obscurantisme - et histoire - irradiée des lumières de la raison -semble aujourd’hui révéler ses limites. Si la méfiance des historiens reste vive à l’égard de la mémoire - l’histoire consistant à se libérer en quelque sorte de la mémoire - et surtout de l’omniprésent « devoir de mémoire » promu au rang d’impératif catégorique, la mémoire est bel et bien devenue un objet d’histoire, d’une grande fécondité pour cette discipline.
Face à une mémoire envahissante et souvent dans tous ses états, l’historien ne peut plus se prévaloir de cette responsabilité normative, sorte de fonction cathartique, que lui assignait naguère Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe. Lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. À la fois « trouble-mémoire » et « sauve-mémoire », l’historien semble appelé à jouer « un rôle de mise à distance, en essayant d’être moins tributaire des enjeux politiques, communautaires et identitaires qui se cachent derrière le devoir de mémoire .
© Yves Léonard - Editorial de « La mémoire, entre histoire et politique » - Cahiers Français 303- La Documentation Française